Nous vivons une époque formidable, nouvelle illustration
Je trouve dans la presse ( Marianne n° 1288 ) la brève suivante : « En Belgique, un jeune homme transgenre de 23 ans, dont l’évolution a été suivie par une émission de télécrochet pendant un an, va devenir papa d’un enfant issu…de son propre ovule !. Sa copine est ravie et lui aussi : « j’ai toujours révé d’avoir un bébé qui soit génétiquement le mien ». On n’ arrête pas le progrès ! »
Une consultation du réseau internet permet d’en apprendre un peu plus :
Cette personne, nommée SFERRE, est une femme devenu ejuridiquement homme qui vit en couple avec une jeune femme nommée MIET. Elle, ou il ( à moins d’employer le pronom « iel » dont je découvre à cette occasion qu’il peut ponctuellement faciliter l’écrit !) a dû interrompre son traitement hormonal pour retrouver sa fertilité d’origine ( ovulation ) et subir un prélèvement d’ovule.
L’un des ovules prélevés a été fécondé in vitro (aucune information n’est donnée sur l’origine des gamètes masculins employés, ce qui laisse supposer le recours à un don de sperme anonyme). L’ovule fécondé a ensuite été implanté dans l’utérus de MIET qui est désormais enceinte et qui mettra au monde l’enfant.
Il est aussi précisé que MIET n’est nullement infertile et qu’elle a accepté ce processus pour pouvoir donner à son compagnon un enfant biologiquement issu de lui.
SFERRE et MIET déclarent, enfin, qu’ils projettent la conception ultérieure d’un autre enfant qui serait, cette fois, l’enfant biologique de MIET, ce qui supposera que le couple ait recours à une nouvelle PMA avec don de sperme et insémination artificielle de MIET.
Sur le plan du droit de la filiation, cette situation ne soulève aucune difficulté. En effet MIET, en tant que femme parturiente, sera nécessairement déclarée mère de l’enfant et SFERRE, en tant que personne juridiquement de sexe masculin, pourra souscrire une reconnaissance de paternité de l’enfant.
Restera seulement un « secret » familial, à savoir que le « père » de l’enfant est en réalité sa mère génétique, et que cet enfant n’a aucun rapport biologique avec la « mère » qui l’a mis au monde.
Il n’entre pas dans mes compétences d’aborder les répercussions psychologiques de cette situation sur les deux parents et sur l’enfant. Ce cas semble être une nouveauté par rapport aux deux autres cas de figure largement médiatisés, à
savoir :
-celui de la femme transgenre, devenue juridiquement homme et qui accouche d’un enfant.
-celui de l’homme transgenre, devenu juridiquement femme et qui féconde une femme.
Dans ces deux derniers cas, il se produit, pour déclarer l’enfant, une sorte de « court-circuit »
juridique, à moins de déclarer la filiation selon le sexe d’origine de ce parent et en ignorant volontairement le changement juridique de sexe qu’il a obtenu.
En effet, si l’on ne fait pas abstraction de ce changement, il ne sera pas possible de déclarer le premier « mère » de l’enfant ( car « un homme » n’accouche pas ), ni la seconde « père » de celui-ci ( car une « femme » ne peut en féconder une autre ).
Je n’ai pas connaissance d’une instance judiciaire qui aurait, en France, traité du premier cas et je ne vois pas quelle solution pourra être donnée par le juge si elle survient.
En revanche, le second correspond au dossier traité en 2019 par la cour d’appel de Montpellier qui, après avoir refusé de déclarer cette « femme » mère de l’enfant car il en avait déjà une, a tenté de solutionner la difficulté en déclarant à l’état civil cette personne ( « femme » en réalité père biologique ) comme « parent biologique » de l’enfant, décision que la cour de cassation a annulée en relevant que cette catégorie n’existait pas dans le droit positif actuel, qu’il appartenait au seul
législateur de compléter. Cette instance est toujours en cours devant la cour d’appel de renvoi (Toulouse).

L’avantage du cas de SFERRE et MIET, qui complète le tableau, est qu’il n’entre pas en contradiction avec le droit positif et que la déclaration de la maternité et de la paternité de l’enfant ne soulèvera aucune difficulté.

La seule question qui reste discutable est celle de la légitimité du recours par ces derniers à la PMA, dans la mesure où leur couple n’était affecté d’aucune cause d’infertilité.
Cette objection doit cependant être écartée ; dans la mesure où le recours à la PMA est désormais ouvert aux couples de femmes, ainsi qu’aux femmes seules.
La PMA vient alors pallier l’absence de géniteur, en raison de l’orientation sexuelle des premières, ou de la solitude ( choisie ou subie ) des secondes.
Dans le cas de SFERRE et MIET, il s’agissait de permettre à SFERRE d’engendrer biologiquement un enfant dans le contexte particulier d’un changement juridique de sexe, en relation avec sa « conjointe » et en évitant toute difficulté ultérieure pour déclarer leur « enfant commun » !
Comment leur dire non ? On voit donc bien que nous vivons une période formidable !
Le 22 novembre 2021 , Jean Louis ROUDIL magistrat honoraire