L 1110-5-1 DU CODE DE LA SANTÉ PUBLIQUE
L 1110-5-1 DU CODE DE LA SANTÉ PUBLIQUE
Dans une chronique du 30 décembre 2019 intitulée « après le décès de Vincent LAMBERT » j’ai énuméré plusieurs points faisant difficulté dans l’application de la loi Claeys-Leonetti de 2016.
L’un de ces points est l’étendue de la portée normative de ce texte pour le médecin traitant d’un patient qui entre dans les prévisions de ce texte.
En effet, l’article L 1110-5-1 du code de la santé publique énonce, d’une part, « que les actes mentionnés à l’article 1110-5 ne doivent pas être mis en œuvre ou entrepris lorsqu’ils résultent d’une obstination déraisonnable », avec emploi de l’indicatif présent qui suggère une injonction faite au médecin, mais énonce, d’autre part, que « lorsqu’ils apparaissent inutiles, disproportionnés, ou lorsqu’ils n’ont d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ( ces actes ) peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris, conformément à la volonté du patient, et si ce dernier est hors d’état de manifester sa volonté à l’issue d’un procédure collégiale… » avec l’emploi du verbe « pouvoir », qui ne caractérise pas une injonction et donne seulement au médecin une autorisation (il « peut » agir en ce sens, mais le texte ne lui interdit pas de s’abstenir de le faire).
Il y a donc une ambiguïté, sinon une contradiction.
D’aucuns émettent l’idée que ce n’est pas le cas, car le texte opérerait une distinction entre les situations urgentes et les situations installées dans le temps, c’est à dire celles dans lesquelles le médecin a le temps de dialoguer avec son patient ou, à défaut, celui de rechercher s’il a souscrit des directives anticipées, désigné une personne de confiance… avant d’entreprendre une procédure collégiale si nécessaire.
L’admettre ne résout cependant pas la difficulté, car on ne voit pas pourquoi le médecin serait tenu par une injonction ( dans le premier cas ) et laissé libre de choisir ( dans le second ), alors qu’il s’agit, dans les deux hypothèses, de savoir si le soin, prodigué ou à prodiguer, relève d’un obstination déraisonnable ou inutile. Force est donc de constater que la question reste entière.
La finalité de la loi Claeys-Leonetti étant la recherche d’un point d’équilibre, pour favoriser la prise de décisions consensuelles, on comprend que le législateur n’ait pas entendu être plus directif, mais il n’en demeure pas moins que cette rédaction génère un « flou » qui ne manquera pas de susciter, un jour ou l’autre, un nouveau contentieux.
Ce contentieux opposera un patient, ou la personne de confiance qu’il a désignée, ou même un de ses proches, au médecin qui se refuserait à suspendre les soins, ou qui déciderait au contraire d’en entreprendre, alors que les conditions de l’article L 1110-5-1 se trouveraient à leurs yeux réunies.
Les gazettes nous ont appris qu’un dossier comparable avait été traité par les juridictions espagnoles, au sujet d’un malade atteint d’une maladie irréversible et gravement incapacitante. Cette maladie se manifestant parfois par des malaises graves, les juges ont eu à trancher entre les médecins qui soutenaient devoir ranimer le malade à tout prix en cas de malaise, et la famille de celui-ci qui souhaitait qu’aucune réanimation ne soit au contraire tentée en cette hypothèse ( les juges ont statué dans le sens des médecins…).
Dans cette précédente chronique, j’écrivais qu’il serait ainsi utile que le législateur précisât si la décision du médecin est une décision « liée » , dès lors que les conditions d’application du texte sont objectivement réunies, ou s’il conserve dans tous les cas une possibilité d ‘appréciation en opportunité.
Cette précision permettrait au juge de trancher sur une base légale certaine, ce qui n’est pas le cas à ce jour.
Ainsi, dans l’hypothèse où le caractère facultatif de la décision médicale serait affirmé, le juge disposerait-il d’un fondement légal indiscutable pour rejeter les demandes de suspension des soins formulées contre le médecin.
Mais dans le cas où le législateur viendrait à retenir la solution inverse, à savoir, celle d’une obligation faite au médecin, il conviendrait, d’une part, de prévoir les modalités de remplacement du médecin qui userait de sa clause de conscience, et, d’autre part, d’expliciter les critères légaux de mise en œuvre du processus de suspension des soins pour exclure tout autre critère autre que strictement médical, comme pourrait l’être par exemple, le coût économique de la prise en charge du malade.
La pandémie du Covid 19 a remis cette problématique dans l’actualité immédiate, puisque certains praticiens affirment qu’ils risquent de se trouver dans l’impossibilité matérielle de placer en réanimation tous les malades dont l’état appelle de tels soins, de sorte qu’ils devront « trier » les malades.
Le Dr PELLOUX, président de l’association des médecins urgentistes de France, a été interrogé par les journalistes du « Figaro » le 31 mars 2021. Ses propos apportent un éclairage sur cette problématique, mais également un avis intéressant sur la portée normative de la loi Claeys Leonetti telle que l’interprète ce praticien.
Voici ses propos : « nous avons en France un système pré-hospitalier et le Samu où nous opérons déjà un triage. On met le patient au bon endroit en fonction de ce dont il a besoin. Et la médecine de catastrophe n’est pas un système de triage pour dire qui va vivre et qui ne va pas vivre, c’est un système de priorisation des malades. Faire croire que l’on va sélectionner les malades et les trier, c’est totalement faux. Par exemple ,les personnes âgées grabataires, démentes, qui sont en fin de vie, on ne va pas les réanimer s’il y a un arrêt cardiaque parce que la loi ne nous y autorise pas, cela s’appelle l’acharnement thérapeutique ».
Le point important pour notre discussion relative à la portée de la loi Claeys-Leonetti est que le Dr PELLLOUX interprète clairement l’article L 1110-5-1 du code de la santé publique comme lui faisant une injonction légale de ne pas réanimer ce type de malades. Pour lui, un acte de réanimation, dans ces conditions particulières, est interdit par la loi, de sorte qu’il ne dispose d’aucune autonomie de décision.
Pour reprendre l’exemple du contentieux traité par les juges espagnols, l’interprétation du Dr PELLOUX aurait imposé au médecin traitant de ne pas réanimer le malade, ce qui correspondait aux souhaits de la famille. Le juge n’aurait donc rien eu à trancher.
Toujours en reprenant le même exemple, mais en supposant que la famille ait cette fois demandé que des actes de réanimation soient pratiqués, l’interprétation donnée au texte par le Dr PELLOUX conduirait nécessairement au rejet de sa demande, face à un médecin qui lui opposerait l’injonction contraire de la loi.
Comme il ne s’agit cependant que d’une interprétation, on voit l’intérêt qu’il y aurait à ce que la question soit tranchée par le législateur lui-même, plutôt que laissée à l’appréciation des juges ( français ) qui n’ont pas encore été saisis d’un litige leur imposant de la faire.
Cet intérêt est d’autant plus actuel que certains s’opposent à tout nouveau texte relatif « à la fin de vie », au motif qu’il faudrait laisser à la loi Claeys-leonetti un temps suffisant pour qu’elle fasse l’objet d’une application significative.
C’est sur cette argumentation que nombre de députés font aujourd’hui obstacle à ce que la proposition de loi du député FALORNI ( portant sur « la fin de vie dans la dignité ) puisse être débattue utilement lors de la « niche parlementaire » d’une journée prévue à cet effet le 8 avril 2021. ( 3500 amendements déposés pour bloquer tout débat ! )
Il y a donc lieu de craindre que cette question ne puisse avancer avant longtemps.
Rien ne fait obstacle à ce qu’une nouvelle affaire Vincent LAMBERT puisse voir le jour !
Le 6 avril 2021 J.L . ROUDIL magistrat honoraire.