L’enfant aux deux mères

Le 9 février 2022 la cour d’appel de TOULOUSE a ordonné la mention sur l’acte de naissance de
l’enfant Marie-Eve, née le 18 mars 2014 de Mme Nathalie D., d’une autre filiation maternelle envers
Mme Clarisse V..
L’enfant Marie-Eve est donc désormais pourvue d’un acte de naissance mentionnant qu’elle a deux
mères d’origine.
Cet acte de naissance ne fait en revanche état d’aucune filiation paternelle ce qui s’explique par le
fait Mme Clarisse V. est le géniteur de l’enfant car il s’agit en réalité une femme transgenre dont le
changement de sexe a été judiciairement déclaré en 2011 bien qu’elle ait conservé ses organes
reproducteurs masculins.
L’enfant est ainsi la fille de Mme Nathalie D et de Mme Clarisse V. qui l’ont conçue dans le cadre de
leur vie sexuelle de couple marié puisque ces deux personnes sont unies par les liens du mariage
depuis 1999 , soit antérieurement à la « transition » ( le changement de sexe ) de la seconde, étant
précisé que les intéressées avaient dejà deux autres enfants communs nés avant 2011.
Cete décision de la cour d’appel de Toulouse clôt un contentieux ancien dont les étapes ont été :
-un jugement du tribunal de grande instance de Montpellier en date du 22 juillet 2016 ayant refusé
d’inscrire Mme Clarisse V. comme « mère non gestatrice » de l’enfant en renvoyant Mme Clarisse V
à l’adopter pour établir sa filiation biologique avec elle, faute de pouvoir ( et surtout de vouloir -voir
note 1 ) souscrire une reconnaissance de paternité en raison de son changement de sexe. Le tribunal
avait retenu « que la création d’un être humain procède de la rencontre d’un ovocyte et de
spermatozoïdes de sorte qu’il est impossible que deux personnes de même sexe soient les parents
biologiques d’un enfant ».
-une arrêt de la cour d’appel de Montpellier du 14 novembre 2018 qui a infirmé le jugement
précédent et dit que Mme Clarisse V. serait mentionnée sur l’acte de naissance de l’enfant comme
son « parent biologique » avec toutes les conséquences à tirer de ce rapport de filiation en matière
d’autorité parentale ; c’était une décison novatrice destinée à sortir de l’impasse juridique.
-un arrêt de la cour de cassation du 16 septembre 2020 qui a cassé la décision précédente au motif
que la notion juridique de « parent biologique » n’existe pas dans notre droit positif, avec renvoi du
dossier devant la cour d’appel de TOULOUSE pour statuer à nouveau sur l’appel du jugement du 22
juillet 2016.
Cette cour a donc cédé à la demande extravagante de Mme Clarisse V. qui était appuyée par la
pression médiatique du lobby LGBTQ+.
La « modernité » a donc commandé de reconnaître qu’une personne puisse être, à la fois, un homme
et une femme et que son appartenance, apparente, au sexe féminin conduise à ce que l’enfant issue
de ses œuvres ait deux mères plutôt qu’un père et une mère.
Il est vrai que la chose était inévitable dès lors que le législateur du 18 novembre 2016 avait décidé
qu’un changement de sexe pouvait être judiciairement déclaré sans que le demandeur n’ait à justifier
de son changement de sexe génital, mais sans pour autant décider de la manière dont un enfant
éventuellement issu de ses œuvres, après ce changement, devrait être déclaré.

Les législateurs Belge et hollandais, ainsi que la cour constitutionnelle allemande de Karlsruhe,
saisies de la même question, l’avaient en revanche tranchée en décidant que cet enfant devrait être
déclaré selon le sexe d’origine de son parent transsexuel en faisant abstraction de son changement
juridique de sexe.
On voit que le législateur français s’est abstenu de se prononcer sur ce point et qu’il a préféré
renvoyer la solution du problème « à la prudence des juges ».
Cette abstention était volontaire ainsi que cela ressort clairement des motifs de la décision du
conseil constitutionnel qui s’est prononcé sur cette loi. Elle était à l’évidence motivée par le souci de
ne pas affronter le lobby LGBTQ+ qui n’aurait pas accepté qu’une mesure semblable à celle retenue
en Belgique, Hollande et Allemagne soit adoptée.
Il convient également de noter que la cour d’appel de TOULOUSE a rejeté la demande du parquet
général tendant à ce qu’une mention du jugement de changement de sexe de Mme Clarisse V. soit
portée dans l’acte afin d’expliquer la cause de cette double maternité surprenante car cette mention «
porterait une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de l’enfant et de la mère
( lire de Mme Natahalie D) ».
Les dépêches ne mentionnent pas, enfin, si la mention à transcrire sera celle d’une « maternité non
gestatrice » comme demandé à l’origine par Mme Clarisse V. ou celle d’une maternité « tout court ».
Le point devra être vérifié si le texte de l’arrêt est publié.
On voit donc aujourd’hui le résultat de ce ( non-)choix législatif, et force est de constater que la
pression LGBTQ+ l’a emporté sur toute la ligne.
Les commentateurs favorables à cette décision y voient « un grand pas pour les personnes trans » de
nature à faire « évoluer les droits de filiation actuels qui sont obsolètes » ;
Le prochain assaut du lobby LGBTQ+ en la matière est enfin clairement annoncé : « on ouvre une
possibilité de filiation conforme à l’identité de genre, mais par l’intermédiaire d’une décision de
justice lourde et coûteuse ». Il s’agira donc d’obtenir à l’avenir une totale libéralisation de
l’établissement de la filiation et de permettre que celle-ci soit purement déclarative, sans contrôle
judiciaire préalable.
La dérive ira-t-elle jusque là ?
Qu’en ne se méprenne pas sur le sens de l’opinion que j’exprime :
-le phénomène transsexuel est une réalité et les personnes concernées sont juridiquement fondées à
obtenir la reconnaissance judiciaire de ce changement même si elles ont conservé leur fonctions
génitales d’origine, car exiger d’elles une preuve médicale contraire reviendrait à opposer deux de
leurs droits à savoir d’une part le droit au respect de la vie privée ( le changement de sexe ) et
d’autre part le droit de tout individu à son intégrité physique ( ne pas subir d’intervention
chirurgicale).
-le fait que ces personnes puissent engendrer un enfant est une évidence dont il convient d’assumer
les conséquences en leur permettant d’établir un rapport de filiation selon le droit commun. Les
droits de l’enfant le commandent également.
-la question est donc de savoir si l’établissement de ce rapport de filiation doit répondre à

l’apparence ( comme dans le cas ici commenté ) ou à la réalité biologique ainsi que les belges, les
hollandais et les allemands l’ont décidé ( en ignorant volontairement la déclaration judiciaire de
changement de sexe )
-La cour d’appel de TOULOUSE se trouvait en réalité enfermée dans un dilemme : soit elle
considérait que Mme Clarisse V. était en réalité le père de l’enfant mais elle se trouvait alors
contrainte de confirmer le jugement entrepris qui rejetait la demande, ce qui aurait eu pour
conséquence de laisser l’enfant sans rapport de filiation avec son auteur, soit elle entendait consacrer
l’existence de ce rapport mais se trouvait alors liée par la demande sans pouvoir opter pour l’autre
solution.
Cettte décision pose problème car elle « invente » une double maternité prétorienne contraire à
l’évidence et à la vérité biologique et, je le soutiens, contraire à l’état de notre droit positif.
Il serait donc utile que le parquet général de TOULOUSE inscrive contre cet arrêt un pourvoi dans
l’intérêt de la loi afin que la cour de cassation tranche cette question en mettant, si nécessaire, le
législateur face aux conséquences de sa carence.
L’intérêt d’un pourvoi en cassation dans l’intérêt de la loi est, en effet, de permettre la cassation
éventuelle de l’arrêt discuté sans priver les parties du bénéfice de ses dispsitons. Une cassation
démontrerait que la décision prononcée est contraire au droit et empêcherait une jurisprudence
irrégulière de s’installer.
Il appartiendrait alors au législateur d’intervenir pour éviter qu’une demande semblable à celle que
nous venons de discuter ne soit rejetée au mépris des droits de l’enfant.
Pour mémoire enfin : l’un des commentateurs indique que l’enfant « va enfin porter le nom de sa
famille, comme ses deux frères ». Comme le nom de Marie-Eve était nécessairement D. depuis
2014, il faut supposer qu’une demande particulière de changement de nom de famille a été soumise
à la cour d’appel de TOULOUSE et que celle-ci y a fait droit afin que Marie-Eve s’appelle à l’avenir
V. comme ses deux frères aînés.
le 13 février 2022, J.L. ROUDIL magistrat honoraire.
Note 1 ) l’éventualité d’une reconnaissance de paternité par Mme Clarisse V. a été écartée depuis
l’origine parce qu’elle « serait impossible » du fait du nouveau sexe juridique de celle-ci. Le point
semble avoit été considéré comme certain. Il est vrai que Mme Clarisse V. s’est toujours refusée à
l’envisager puisqu’elle demandait à être déclarée « mère non gestatrice » de l’enfant.
Or je ne suis pas certain de la réalité de cette impossiblité dès lors qu’il est certain que Mme Clarisse
V. est bien le père biologique de l’enfant. Faire consacrer juridiquement cet état de fait par une
reconnaissance volontaire n’aurait pas été plus plus extraordinaire que la déclaration judiciaire de
« maternité » à laquelle on a abouti. On observera que si Mme Clarisse V. avait opté pour cette
solution, son rapport de filiation avec l’enfant aurait été établi par cette reconnaissance et que, dans
l’hypothèse où le parquet y aurait trouvé à redire, c’est ce dernier qui aurait été contraint d’engager
une contestation contentieuse. L’aurait-il fait ? La réponse est incertaine car, avant de se décider à
agir ou non, le procureur de la république aurait certainement pris en considération le fait que cette
contestation ne pouvait que conduire Mme Clarisse V. à revendiquer une déclaration alternative de
« maternité ». Dans une situation aussi extraordinaire l’établissement du lien de filiation ne pouvait
passer que par une solution « baroque ». Laquelle des deux l’est le plus ?